NAYLA ROMANOS ILIYA ET ROSE ISSA RESSUSCITENT L'ALPHABET PHÉNICIEN


08-Jun-2023   -   L'ORIENT-LE JOUR

Ce soir, à la Fondation Corm, l’éditrice Rose Issa et l’artiste Nayla Romanos Iliya présentent « The Phoenician Alphabet », une monographie sur l’architecte sculptrice, réalisée par la maison d’éditions Rose Projects.

OLJ / Par Danny MALLAT, le 08 juin 2023 à 00h00

« On fait tout par nécessité, et la vie vous prend vers des trajectoires très différentes. Voilà pourquoi une architecte comme Nayla Romanos Iliya devient sculptrice », constate d’emblée Rose Issa avant d’ajouter : « On ne choisit pas dans la vie, la vie nous choisit, le talent et le hasard vous emmènent dans des directions insoupçonnées et dans l’urgence de vouloir s’exprimer, on change de métier. » Venant d’un univers scientifique (elle est mathématicienne), Rose Issa réalise un jour qu’il fallait absolument faire connaître les artistes du Moyen-Orient à un public qui n’en savait rien. « Il y a 40 ans, l’Institut du monde arabe (IMA) n’existait pas, on ignorait tout de l’art contemporain du monde arabe et j’étais arrivée au constat que les seules personnes qui me représentaient n’étaient ni nos leaders, ni nos ambassadeurs, mais les artistes. » Après un parcours rempli d’aventures réussies dans le monde de l’art, correspondante à ses débuts pour une radio iranienne établie à Beyrouth, productrice de festivals de films arabes et iraniens, responsable d’un espace culturel à Londres, elle fonde sa propre maison d’éditions, Rose Issa Projects, pour accompagner les artistes.

De l’importance de la documentation

« Pour passer à autre chose, il faut toujours documenter, déclare avec beaucoup de conviction Rose Issa, curatrice, auteure et productrice qui défend les arts visuels et le cinéma du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord au Royaume-Uni depuis plus de 30 ans. Je suis pour la documentation, et l’artiste se doit chaque cinq ans de présenter son travail dans une publication, c’est l’argument que j’ai présenté à Nayla Romanos Iliya pour réaliser ce livre. » Son but ayant toujours été de placer les artistes arabes dans les musées, elle réalise très vite que les conservateurs de musées, lorsqu’on les aborde, exigent toujours une monographie sur l’artiste, pour considérer l’artiste comme tel. C’est ainsi qu’elle se lance dans la publication avec sa propre maison d’édition.

Fondatrice des unités d’éditions Rose Issa Projects, elle publie des monographies et des catalogues complets sur les tendances actuelles des arts visuels contemporains du monde arabe. C’est en 2017 qu’elle tombe sur la première série de sculptures de Nayla Romanos Iliya datant de 2013 et qui a beaucoup évolué. « Je découvre une esthétique que je ne connaissais pas, un concept original, une exécution remarquable et une sensualité surprenante. » Alors que la calligraphie est en deux dimensions, les sculptures de l’architecte sont bien sûr en trois dimensions. Partant d’un alphabet phénicien, elle avait créé son propre alphabet. « L’instinct est important, ajoute la curatrice-auteure et mon œil est exercé depuis 40 ans à séparer le grain de l’ivraie. Le travail de Nayla m’a très vite convaincue qu’il était absolument nécessaire de réaliser une monographie. »

L’alphabet phénicien démocratise la communication

Issue d’un milieu francophone et préoccupée par les notions préétablies, Nayla Romanos Iliya questionne son identité arabe lorsqu’elle s’établit à Dubaï. « C’était la première fois que je vivais dans un pays arabe, je prenais des cours de sculpture et mes symboles phéniciens allait voir le jour dans cette ville. » Ayant beaucoup vécu en Europe, l’architecte ne s’identifiait pas à la civilisation arabe. Très sensible à la population émiratie, elle se pose alors la question : « Qu’est-ce que la civilisation phénicienne nous a apporté pour ne pas nous sentir complètement arabe ? » Elle veut en savoir plus et découvre que l’alphabet phénicien avait une importance considérable, qu’il était est la base de la majorité des langues parlées aujourd’hui. « Cette découverte m’a donné des ailes, j’ai ressenti comme une mission de faire connaître cette richesse. J’étais en train de me chercher à travers la sculpture, le côté tactile était déjà thérapeutique, mais lorsque j’ai découvert ce thème, j’étais en transe. »

L’architecte sculptrice fait ses premiers prototypes en aplat et plus elle se documente, plus son interprétation et son imagination prennent la relève, elle manipule les lettres en leur donnant une vie tridimensionnelle, des épaisseurs différentes jouant avec leurs directions et leurs formes. « Leurs torsions sortaient de mes tripes. » La série évolue, et Nayla Romanos Iliya s’amuse à former des mots avec une mini-série qu’elle nomme « Scrabble » en commençant avec le mot OK que toutes les populations comprennent. Des mots d’amour, des mots de paix, des mots qui inspirent, des phrases messages, des superpositions de lettres qui donnent naissance à des formes abstraites. Quant aux socles, le choix du matériau n’est pas anodin. Il a son importance et sa signification. Formé de plusieurs strates de bois, il renvoie au passage du temps, quant à la surface miroitante formée en stainless steel, elle évoque l’eau parce que les Phéniciens étaient de grands navigateurs. Si Nayla Romanos Iliya joue avec les formes pour faire passer des messages qui sont souvent très optimistes, c’est parce qu’elle avoue être de nature très positive. « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté », disait le philosophe Alain, une phrase qui définit très bien cette artiste qui parle de son art avec des yeux souriants de bonheur et d’émotion. N’a-t-elle pas déclaré : « L’art pour moi est thérapeutique, libérateur, et moi seule face à mes créations, je suis dans la liberté la plus absolue » ?

« The Phoenician Alphabet »

Éditions : Rose Issa

Textes : professeure Susan Babaie et sir Peter Murray

Discussion autour du livre, signature et tour de la fondation, le jeudi 8 juin, de 18h à 20h, à la Fondation Corm, rue Habib Pacha Saad, face au Grand Lycée franco-libanais.