L'ALPHABET PHÉNICIEN DE NAYLA ROMANOS ILIYA


07-Jun-2023   -   AGENDA CULTUREL

Nayla Romanos Iliya signera jeudi 8 juin son ouvrage ‘The Phoenician Alphabet’ à la fondation Corm. Rencontre avec l’artiste.

Pouvez-vous nous parler de la création de cet ouvrage ? Et comment avez-vous conçu son contenu ? Ceci est mon premier livre en tant qu’artiste. Cet ouvrage a vu le jour grâce à l’initiative de Rose Issa, curatrice, écrivaine et productrice qu’on ne présente plus ; en effet, cela fait plus de trente ans qu’elle promeut des artistes du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord au public occidental, par le biais d’expositions, de festivals de cinéma, et de son programme d'édition. Elle m’a ouvert les yeux sur l’importance de documenter mon travail, et encouragé à commencer par ma première série de sculptures, inspirée de l’alphabet Phénicien.
C’est ainsi qu’ensemble, nous avons ébauché l’esquisse de ce livre, que nous avons délibérément voulu de petit format, joignant photos des sculptures et écrits pour mieux illustrer le contexte de l’œuvre. Ça a été un défi mais aussi l’opportunité de retrouver, remanier et composer avec les photos de mes premières sculptures, qui, en grande majorité, ne sont plus chez moi. Les œuvres sont divisées en quatre catégories, interprétant caractères, mots, concepts et une édition spéciale des 22 lettres de l’alphabet Phénicien.
Le second volet était les textes à inclure. Nous avons opté pour, d'une part, une conversation pratiquement autobiographique entre nous deux, ainsi que des citations personnelles, et, d'autre part, l'apport d'un œil "étranger" à notre contexte socio-historique. Les textes de prof. Sussan Babaie – curatrice et historienne de l'art - et et dr. Peter Murray, directeur retraité de la Crawford Art Gallery, Cork, et historien de l’art - ont contribué à élargir horizons et perspectives, apportant leur perception propre, captivante et révélatrice. Le livre se termine par un petit extrait de “la Montagne Inspirée” de Charles Corm - écrivain Libanais, philanthrope et fondateur de la revue Phénicienne - dont le parcours fascinant et l’attachement au Liban lui ont valu les labels de visionnaire, et « la conscience de la société libanaise ».

Qu’est-ce que cela vous a apporté de faire ce livre ? Au départ, le catalyseur était dans l’importance de documenter ce que l’on a réalisé, de constituer un référent qui supplée la mémoire de l’homme à une époque où, paradoxalement, tout est accessible sur la toile. Mais ça a surtout été une expérience très enrichissante sur le plan personnel : de facto, le processus met en exergue le chemin parcouru, incitant à prendre une pause, réfléchir. Aussi, la conversation avec Rose Issa m’a obligé à écrire et à décrire, le vécu et le ressenti, repérer les causes et effets ; ceci m’a été extrêmement bénéfique quoique difficile. Ça a mis en évidence des faits auxquels je n’avais pas accordé, à l’époque, la même importance ou signification qu’aujourd’hui, ça a recousu des liens. J’ai réalisé qu’essayer de s’exprimer, tant avec les mots qu’à travers ses œuvres, contribue à mieux se comprendre soi-même.

Qu'espérez-vous que les lecteurs ressentent ou comprennent en parcourant votre livre et en découvrant vos sculptures ? J’aime le contact avec les gens en général et j’ai plaisir à partager ce qui m’anime, à communiquer ma passion. Comme je l’ai mentionné dans le livre, mes projets d’art public m’ont donné l’opportunité d’interagir avec des gens de toutes sortes, les passants étant rarement amateur d’art vu le manque de musées au Liban. Dans ces cas-là, constater que mon œuvre suscite intérêt ou émotion fait que la récompense est d’autant plus grande !
Pour mon livre, la donne n’est pas du tout la même. Étant donné que le lecteur potentiel est à priori intéressé et réceptif, sans doute cultivé, voire même pointu. L’illustration d’un ensemble d’œuvres, suppléé d’écrits offrant diverses perspectives est indiscutablement un grand atout pour mieux comprendre le parcours et l’approche d’un artiste. J’espère donc que ceux qui connaissent déjà mon travail le découvriront plus en profondeur pour une meilleure appréciation, et dans tous les cas de figure, c’est une invitation à engager un dialogue, susciter un moment de réflexion, et surtout partager plaisir et émotions.

Pensez-vous que ce livre aura le même écho au Liban et à l’étranger ? On aurait tendance à penser que le public libanais par excellence, ainsi que les pays où les colonies Phéniciennes ont laissé leurs traces, seraient plus sensibles à cette série de sculptures vu le thème, intrinsèque à notre héritage. Or, le but de ce livre est précisément de toucher un périmètre beaucoup plus vaste. Ça me tient à cœur de rappeler que l’alphabet Phénicien est à l’origine de la plupart des alphabets modernes utilisés de par le monde aujourd’hui, parmi lesquelles l’Arabe ainsi que toutes les langues dérivées du Latin. En 2005, l'UNESCO a inscrit l'alphabet phénicien dans la mémoire du “Programme Mondial” en tant que patrimoine du Liban. Or, c’est plus que dommage que cette extraordinaire contribution à l’humanité ne soit pas prise en compte dans nos programmes éducatifs locaux, et pas assez mise en valeur dans nos pratiques culturelles au Liban et à l’étranger.
Le langage ancien possède un pouvoir élémentaire, et l'alphabet phénicien Phénicien, utilisé il y a plus de trois mille ans, est l'un des plus anciens. Mon interprétation de ses vingt-deux lettres, profondément personnelle, vise à redécouvrir ce pouvoir et à réinvestir le sens de ces symboles, presque aussi anciens que la civilisation humaine elle-même. Les œuvres qui en résultent, tout en étant immédiatement reconnaissables comme les symboles d’origine, contiennent également des strates de signification, liées au passé et au présent. Créées dans le cadre des modes contemporains de représentation et d'abstraction, elles célèbrent l'héritage culturel du Liban, mais sont universelles dans leur modernité, trouvant leur place partout ailleurs. Donner une nouvelle vie à cet alphabet a été pour moi quelque part thérapeutique vu mes sentiments mitigés pour le Liban d’une part, et ma quête d’identité, après des décades de vie ici et ailleurs. A un moment où le pays est au plus bas de son histoire, je voudrais, à travers ce livre, communiquer ma vision poétique et optimiste, qui j’espère se répandra et touchera des lecteurs quelle que soit leur histoire, culture ou situation géographique.